Article du mois
Article protégé - Merci de ne pas le copier
La notion de « timing » dans la réaction de l’attaque
Texte d'Ibrahim El Marhomy
Dans les pratiques de combat en Karaté Traditionnel, la notion de « timing » est liée à deux facteurs stratégiques. D’une part, du point de vue des techniques, plusieurs sortes de « timings » sont réalisables : « gonosen » ; « sénosen » ; « tainosen ». Le « timing » étant le temps de réaction physique par rapport à l’adversaire ou à une technique d’attaque vers soi, « gonosen » implique que l’on prenne un temps pour bloquer, rentrer dans l’attaque ; « tainosen », que l’on agisse en même temps ; et « sénosen », pratiquement avant que l’attaque ne se développe.
Un deuxième facteur joue un rôle important : l’aspect de temporalité. Avant de se soucier comment mettre en pratique ces différentes stratégies évoquées, il faut savoir comment être dans le temps de l’action, une question liée à la notion de « zenshin », qui implique l’état d’éveil du pratiquant vers l’adversaire. Cette attitude rend possible une maîtrise du corps et la maîtrise de l’espace traversé. Ainsi, je me mets au rythme de mon adversaire, j’intègre son rythme, je suis dans le temps de l’action. J’intègre la forme de l’adversaire.
La technique qu’il va utiliser (« giri », « tsuki », etc..) ne doit pas préoccuper ; j’intègre sa forme, et je réponds spontanément par rapport à la forme. Alors seulement, au niveau interne, l’état d’éveil permet de réagir au plus petit mouvement déclenché, et même, à l’intention gestuelle de mouvement. Ce sont ces préliminaires qui permettent en réalité d’aborder les notions de « sénosen », « gonosen », « tainosen ».
Respiration et hara
La respiration joue un rôle central dans ces processus. Dans le cas du combat, le pratiquant contrôle impérativement la respiration. Les muscles requis pour cet effort indiquent, à l’observation, une descente du processus respiratoire vers le bas-ventre, ce qui aide à déclencher la technique. L’action n’est pas corticalisée, pensée ; elle est tout entière inscrite dans le flux respiratoire. Si je déplace un objet lourd, je ne peux le faire ni en apnée ni le tonus relâché, je suis obligé de lier le cycle respiratoire à l’action. En Karaté traditionnel, tout va vite ; cet « inspiré-expiré », par sa densité, est le véritable déclencheur de la technique.
Le lieu de la cage thoracique et le poumon organe de la respiration, subit en Karaté traditionnel, une sorte de transfert à la fonction motrice. Je déplace cette respiration vers le hara par un jeu subtil de pressions musculaires vers le centre du corps. L’adversaire ne doit pas détecter l’inspir-expir, car entre chaque inspiration/expiration/inspiration, se produit un « kyu », une brèche dans les fonctions physiologiques dans laquelle il pourrait s’engouffrer. Lorsque, je centre la respiration vers le hara, elle devient indécelable. Le hara est ainsi continuellement opérationnel, mis en avant du corps pendant l’attaque ; il est à la base de toute impulsion gestuelle. L’état d’éveil – le « zenshin » – nous permet de réagir instantanément, mental et physique unis, contrairement à l’état de « kyu » où mental et physique sont déconnectés.
Percevoir l’invisible
Dès qu’un adversaire entre dans notre espace, quelque soit sa représentation, nous sommes dominés. Ici, intervient la notion de « maï », que l’on peut traduire dans notre langue, par celle de seuil de vulnérabilité ; illustrée de trois points de vue.
Il y a d’abord le « maï», distance à laquelle je peux atteindre l’adversaire : mon « maï ».
Dans le deuxième cas de figure, le « maï » s’applique à la distance au-delà de laquelle je suis protégé de l’adversaire – Que l’un ou l’autre franchisse cette limite, et il y a danger !
Dans le troisième cas, le « maï » de l’adversaire est cette distance à laquelle l’adversaire peut m’atteindre. L’arbitre en Karaté Traditionnel calcule le « maï » dans les combats, avec la longueur des bras de l’adversaire, mis bout à bout – la position « tinto ».
Si donc le « timing » est le temps de réaction face à une agression de l’adversaire, il faut en Karaté traditionnel chercher à réduire ce temps de réaction. Plus le temps de réaction est court, plus l’on doit réagir dans le temps. Nous travaillons le plus sérieusement possible pendant l’entraînement pour atteindre un état réceptif à l’invisible, où nous pouvons ressentir ce qui arrive autour de nous. Sensei Nishiyama disait, « lorsque vous vous rendez compte que les choses sont là, il est déjà trop tard pour réagir ».
Faire en sorte d’intercepter l’événement ; bloquer, contre-attaquer ! Avant qu’il ne prenne de l’ampleur, c’est là, je crois, le but premier, de tous les arts martiaux ; c’est aussi l’aspect le plus important du travail corporel, au sens total, du Karaté Traditionnel.
C’est la raison pour laquelle nous travaillons sur des temps de réponse extrêmement courts et puissants dans nos techniques.
Ici, au Dojo, je demande aux instructeurs, qu’il n’y ait pas de regards extérieurs pendant le cours, propres à troubler cet état d’éveil, cette attention que les pratiquants dirigent sur eux-mêmes, qui sollicite de leur part un très gros effort.